Jeanne et le cagibi

Ce scénario est, au départ , une réponse au concours ESTRAN de 2006 sur le thème :

“Demain j’arrête”

Même s’il n’a pas été retenu dans le verdict final des 10 vainqueurs, il a poursuivit son existence en gagnant le prix des meilleurs dialogues du concours organisé par l’association Cinemadfilms.

http://www.cinemadfilms.com/rubrique-1089682.html

C’est une histoire qui mêle la prise de vue réelle et de l’animation avec, comme principale source d’inspiration, l’univers du “Magicien d’Oz”. Le tout dans un contexte de dépendance aux tabac, alcool, drogues… C’est aussi une histoire musicale…

en bonus voici l’URL d’un site qui explore le pays d’Oz

http://www.scifi.com/tinman/oz/

1 INTÉRIEUR (SALLE DE CLASSE) - VERS 18H JOUR
Dans une salle de classe, c’est l’étude. Des élèves font leur devoir sous la surveillance d’un adulte. Dans une suite de plans courts les élèves disparaissent les uns après les autres, au fur et à mesure que leurs parents viennent les chercher. À l’étude, une petite fille, d’environ sept/huit ans, cheveux longs, robe un peu rétro, reste bientôt seule avec la surveillante qui s’impatiente.
La fillette, stoïque, a finit ses devoirs depuis longtemps et lit tranquillement un gros livre de Lyman-Frank Baum :

« Le Magicien d’Oz »

Sur le livre, on peut lire son prénom : Jeanne.
Nous entendons la voix intérieure de Jeanne qui lit un passage du "Magicien d'Oz" :

  • JEANNE (voix intérieure): "Tes
  • souliers d'argent, dit Glinda,
  • ont des pouvoirs immenses. Le
  • plus étonnant d'entre eux est
  • qu'ils peuvent te transporter où
  • tu le désires, et ce en trois
  • pas seulement, chaque pas
  • durant le temps d'un clin d'oeil.
  • pour ce faire, il te suffira de
  • claquer des talons trois fois et
  • d'ordonner à tes souliers de
  • t'emmener où tu le désires."

Jeanne, assise à sa place, le livre dans les mains, regarde par dessus les pages vers la surveillante. Puis voyant que la surveillante est occupée à autre chose, elle essaye elle aussi de frapper trois fois ses talons comme Dorothy dans l'espoir de rentrer chez elle.


2 INTÉRIEUR (SALON APPARTEMENT) - VERS 18H JOUR
Dans le même temps, en alternance et en cadence avec les talons de jeanne qui se cognent, on voit des verres d’alcool dans l’étau d’une main de femme (vernis à ongle, bagues) revenir sur table une fois vides.


3 INTÉRIEUR (ENTREE APPARTEMENT) - VERS 18H JOUR
Dans un appartement, un homme vient d'entrer. Il porte plusieurs sacs de supermarchés, il a la cigarette au bec et remarque que sa femme est allongée ivre-morte sur le sol. Prenant alors conscience que sa fille est encore à l'école.

  • LE PÈRE : « Merde Jeanne ! »

Il lâche son cabas et claque la porte derrière lui, laissant sa femme à son coma éthylique.


4 INTÉRIEUR (CHAMBRE ENFANT - APPARTEMENT) - SOIR
L'enfant assise sur son lit tient sa poupée (vaguement masculine) tendrement dans ses bras.

  • JEANNE : « Ecoute mon Toto, je
  • vais te raconter une histoire :
  • Il était une fois un papa et une
  • maman qui n'était plus vraiment
  • des vrais amoureux. Ils se sont
  • remariés, lui avec un paquet de
  • cigarettes, elle avec une
  • bouteille de bourbon. »

La sonnette retentit et Jeanne arrête son histoire. Par curiosité, elle ouvre la porte de sa chambre pour voir ce qui se passe à l'extérieur. Elle commente l'action (voix off) pour sa poupée Toto:

  • JEANNE : " Mon papa, il a un
  • drôle de travail. La sonnette
  • fait dring dring, presque tout
  • le temps. Alors il va voir par
  • le petit trou qu'il y a dans la
  • porte pour voir de l'autre
  • côté."

  • TOTO : "Le judas ?"

  • JEANNE : " Ouais ! Et pis il dit
  • d'attendre là et il va dans le
  • cagibi chercher un truc. Il
  • redonne le truc de l'autre côté
  • de la porte et après il met
  • quelque chose dans sa poche... "

  • TOTO : " De l'héroïne ?"

  • JEANNE : " Ouais, j'aimerais
  • bien être une héroïne, comme
  • Dorothy tu vois, elle est trop
  • belle Dorothy."

Elle tourne alors la tête vers l'affiche du Magicien d'Oz,où Judy Garland pose dans son rôle de Dorothy !

  • TOTO (désabusé) : " Laisse tomber, poupée !"

Toto, la poupée de Jeanne, secoue sa petite tête, soupire et se met alors à chanter de sa voix de crooner suraigüe,la main tenant un micro imaginaire :

  • TOTO : "Que le film commence
  • Sur la fanfare de la démence.
  • La tragédie mène la danse
  • Et je n'ai plus d'herbe qui pense !
  • La romance est en vacances
  • sur les bords de la recouvrance
  • et je n'ai plus d'herbe pour mes transes !
  • Que la providence tente sa chance
  • sur une autre fréquence
  • moi je n'ai plus d'herbe d'avance"

  • PÈRE (voix hors-champ) : "Jeanne ! A table, c'est l'heure !"


5 INTÉRIEUR (COULOIR) - SOIR
En sortant de sa chambre, Jeanne passe dans le couloir. Elle croise sa mère qui se dirige en vacillant vers les toilettes où on l'entendra vomir (hors champ). Jeanne remarque un paquet de cigarettes négligemment posé sur une tablette. Elle se saisit du paquet, le cache dans une de ses poches de sa robe et continue son chemin sans affecter la moindre émotion.


6 INTÉRIEUR (CHAMBRE ENFANT - APPARTEMENT) - NUIT
Jeanne porte encore sa serviette de table autour du cou constellée de ketchup. Elle s'active avec un mortier à écraser quelque chose. Toto est à côté et observe la scène avec son inlassable sourire. Jeanne a un air concentré et ajoute une nouvelle cigarette dans le mortier pour à nouveau écraser l'ensemble.

  • PÈRE (voix hors-champ) : "Personne n'a vue mes clopes ?"

Jeanne se tourne vers nous (regard caméra), ouvre grand ses yeux et accélère le mouvement de son pilon.
(FONDU AU NOIR)


7 INTÉRIEUR (CAGIBI) - SOIR
Nous sommes dans l'obscurité. Une bande de lumière artificielle émerge du dessous de la porte. Une ombre fugitive suggère que quelqu'un passe régulièrement devant.

  • PÈRE visiblement énervé (voix hors-champ) :
  • " Personne n'a vue mon briquet."

Dans le noir du cagibi, Jeanne allume un briquet. Elle met son doigt devant sa bouche en direction de la caméra. Elle se lève de sa position assise cherche quelque chose dans les étagères, elle passe la flamme devant des balais, une maison de poupée en hauteur et découvre dans une boîte à sucre un sac plein de poudre blanche, elle y trempe un doigt, qu'elle introduit après dans sa bouche. Elle ferme les yeux, papillonne. Le réduit du cagibi s'évanouit pour laisser place à un monde aux couleurs saturées. Elle vient d'arriver dans un pays merveilleux.

8 EXTERIEUR JOUR (LE PAYS D'OVERD'OZ)
(Désormais les personnages et les décors sont en papier découpé ou en volume - cela reste à définir- animé image par image)

Jeanne entre en collision avec une fée qui est allongée sur une chaise longue, deux rondelles de concombre sur les yeux, une baguette magique négligemment posée sur sa robe de fée et un cocktail au citron vert dans une main.
Inutile de préciser que le cocktail se renverse sur le sol. La fée se retrouve les fesses par terre, les concombres en format Picasso. Elle se lève difficilement.


Dès que Jeanne comprend qu'elle a affaire à une fée, elle s'élance vers elle, lui serre la taille, pose sa tête contre son ventre et la submerge d'un flot de paroles où s'accumulent les formules de politesses et les
superlatifs. Bref, une petite fille en manque d'affection.
La fée, qui dans un premier temps se préparait à invectiver vertement l'auteur des troubles, se tourne vers le spectateur, visiblement surprise. La fée caresse affectueusement les cheveux de Jeanne avec sa main libre
(l'autre tient toujours son verre à coktail vide), dans une attitude maternelle. Un bruit de gorge la fait se tourner. C'est un homme assez séduisant. Il se met à chanter, pas de doute, l'homme n'est autre que Toto format XXL. Après avoir réussit à attirer l'attention de la fée et de Jeanne, Toto cherche machinalement quelque chose dans ses poches, en vain.

  • TOTO : " trop con, j'suis trop con,
  • j'aimerais m'rouler un stick d'ma consommation
  • mais j'ai oublié mon chichon à la maison !

  • LA FÉE (sur le même air):
  • "Bourbon, Bourbon,
  • bénie soit ton nom
  • toi qui me fait oublier ma raison"

  • JEANNE hésitante (sur le même air):
  • "Maison, maison,
  • où es-tu ? Dans quelle direction ?
  • j'ai peur que ce monde devienne ma prison !"

La chanson finit la fée se tourne vers Jeanne.

  • LA FÉE : "Mais dis-moi ma p'tite!
  • Ici n'est pas une place une
  • jeune fille comme toi. Tu ne
  • devais pas arriver avant des
  • années ! Car le pays d'overd'oz
  • est le monde des gens en manque !"

  • JEANNE : "Mais pourtant il me
  • plaît ce monde, je le trouve
  • beau avec ses arcs en ciel
  • partout, son chemin pavé d'or et
  • ses collines en chocolat, ses
  • fontaines de sucre…"

  • LA FÉE : "Ouais, bah c'est pas
  • du sucre et le problème c'est
  • que l'on s'y accoutume trop vite
  • ma puce !"

La fée regarde sa montre à gousset à la manière du lapin d'«Alice au pays des merveilles»

  • LA FÉE : "C'est pas tout mais va
  • falloir déguerpir d'ici fissa si
  • on veut pas manger les
  • pissenlits par la racine."

  • JEANNE : "Pourquoi ?"

  • LA FÉE : "Pour çà !"

et la fée montre de son doigt manucuré et vernis de rouge le terrain vague en guimauve qui est le théâtre d'un étrange phénomène. Des mains commencent à sortir du sol et des corps décharnés, mutilés et à moitié décomposés émergent bientôt à l'air libre.

  • LA FÉE : "Vaut mieux partir et
  • vite, je suis impuissante à nous
  • protéger tous les trois, c'est
  • l'heure des zombies vous comprenez !"

La fée clopine vers la route pavé d'or, suivit de Jeanne et de Toto.

  • TOTO : "Elle est surtout un peu trop pompette !"

C'est alors qu'un zombie sort juste sous Jeanne. Il lui enserre les pieds. La petite fille recule précipitamment, perdant une de ses chaussures au passage et se met à crier.

  • JEANNE (de toutes ses forces):"NooOOONnn"

Une maison s'écrase sur le zombie et un certain nombre de ses semblables. La fée et Toto regardent le ciel à l'unisson, cherchant la provenance de la maison. Puis, toujours en même temps ils se tournent vers Jeanne d'une
drôle de façon. La fée regarde son verre vide, comme s'il était l'auteur de ce qu'elle croit être une hallucination, et le balance derrière elle, à la russe. Enfin elle réussit à prononcer trois mots dans la direction de
Jeanne.

  • LA FÉE : "C'est ta maison ?"

  • JEANNE : "Baaah non, de toute
  • façon j'habite un appartement !"

Comme si la répartie de Jeanne expliquait tout, la fée hoche la tête. Jeanne saisit la chaussure qui lui reste et vise un zombie à la tête. Elle slalomant entre les zombies sortant de terre vers la maison tombée du ciel, ouvre la porte et fait signe aux autres de la suivre.


9 INTERIEUR JOUR (LE PAYS D'OVERD'OZ)
Jeanne pénètre dans la demeure, bientôt suivit par ses deux compagnons. Elle cherche dans un placard des chaussures à son pied. Elle en trouve de belles rouges à paillettes.

JEANNE : "Ouah ! trop belles !"

Jeanne les chausse rapidement et poursuit alors son chemin et sort de la maison en ignorant toute une famille végétant dans un canapé en regardant un programme de télé-réalité (son tonitruant avec force référence aux SMS…).


10 EXTERIEUR JOUR (LE PAYS D'OVERD'OZ)
Elle fait de nouveau face à un groupe de zombies. Consciente de son nouveau pouvoir, Jeanne pousse un nouveau cri. Une nouvelle maison se met à chuter sur les mort-vivants.

  • JEANNE (vers la fée): "Pourquoi il y a des zombies… AAHAHHAHA (en direction de zombies devant elle…) dans ce beau pays d'overd'oz ?"

Une nouvelle maison se met à chuter sur les mort-vivants.

  • LA FÉE : "Disons que c'est un
  • nouveau syndrome découvert
  • récemment avec l'annexion du
  • royaume du FPS."

  • JEANNE (vers la fée): "C'est quoi ce Royaume ?"

La fée ouvre la porte de la maison nouvellement tombée et montre du doigt un jeune garçon sur une console de jeux dans le salon avec l'ambiance sonore correspondante.

  • LA FÉE : "le monde du jeu vidéo."

  • JEANNE (regardant le jeune
  • garçon qui n'a pas remarqué leur
  • présence): "je suppose que leur
  • passe-temps favori consiste à
  • taper sur des zombies à l'aide
  • d'une manette de jeux vidéo."

La fée hoche la tête,

  • LA FÉE : "Oui mais c'est aussi du recyclage !"

  • JEANNE : "???"

  • LA FÉE : "Cela permet de réutiliser les vieux corps des
  • alcoolos, des camés et des autres marginaux de la
  • société."

La fée sort sa montre à gousset et pousse un soupir de soulagement. Pendant ce temps.

  • JEANNE (voix hors champ): "Et on
  • ne peut rien faire pour aider
  • ses pauvres zombies ? AAAAH !"

Son hors-champ : "BOOOUM !"

  • LA FÉE : "Plus que deux minutes
  • les enfants et après finit de
  • jouer ! Euh Disons que notre
  • seul espoir à tous est le
  • magicien d'overd'oz. Mais il a
  • été délocalisé. C'est la
  • mondialisation économique, tu ne
  • peux pas comprendre ! (Puis
  • après un temps de réflexion)
  • Pourquoi veux-tu les aider Jeanne ?"

  • JEANNE (voix hors champ): "On dirait mes parents !"

La tête de Jeanne fait un mouvement brusque d'un côté, puis de l'autre, comme si elle avait reçu une paire de claque. La fée, les yeux exorbités, à un renvoie, comme si elle se préparait à vomir, mais elle se met à parler avec la voix du père de Jeanne.

  • LA FÉE (avec la voix du père de Jeanne):
  • "Réveille-toi ma puce, papa est là"

Jeanne ferme les yeux. Lorsqu'elle les ouvre à nouveau, elle se retrouve allongée sur le sol du cagibi.

11 INTÉRIEUR (CAGIBI) - JOUR
(Désormais les personnages et les décors reviennent en prise de vue réelle)
L'image de la fée est remplacée par son propre père. Sous le nez de Jeanne, on peut voir des coulures sanguinolentes séchées, mais elle sourit radieuse. Elle se réjouit d'être rentrée à la maison.

  • LE PÈRE ET LA MÈRE : "Qu'est-ce que tu veux ?"

Jeanne les regarde l'un après l'autre, le sourire aux lèvres.

12 INTÉRIEUR (CUISINE) - MIDI
Dans la cuisine, le père et la mère de Jeanne, l'un en face de l'autre, prennent leur déjeuner. La mère est à l'eau et le père mâche un chewing-gum. On remarque un patch sur son épaule (il a la panoplie du type qui veut arrêter de fumer). Le père semble moins agressif qu'à son
habitude.

  • PÈRE : "Jeanne ! A table, c'est l'heure !"

On entend hors-champ un grand chambardement. Les deux adultes sortent en courant de la cuisine.

13 INTÉRIEUR (CAGIBI) - JOUR
Ils sont impuissants devant le spectacle de leur fille, à nouveau allongée sur le sol du cagibi. La mère hurle de manière hystérique. Jeanne a fait une mauvaise chute et, ironie suprême, la maison de poupée lui est tombée dessus. Jeanne est prise de convulsions et ses pieds gigotent en se frappant les talons (elle porte les mêmes chaussures que dans son rêve, avec quatre ou cinq pointures au dessus). Dans sa main, Toto se balance lui aussi au gré des convulsions. Sur un air joyeux, il se met à chanter.

  • TOTO : "Jeanne a eu le coup de foudre,
  • pour la belle blanche poudre,
  • elle est retournée à la planque,
  • car elle était en manque.
  • La dopamine s'est perdue
  • dans le noyau
  • du circuit mésolimbique du cerveau
  • les neurostransmetteurs
  • neurochimiques sont déçus
  • Le générateur de plaisir est en panne
  • Adieu le tégument ventral,
  • C'est sûr maintenant
  • elle sera en retard pour l'école.
  • rien ne pourra la ramener
  • rien ne pourra la ramener
  • il ne fallait pas commencer…

PENDANT LE TEMPS DE LA CHANSON,
APPARITION DU GÉNÉRIQUE DE FIN

Jeanne et le cagibi