Terminator


Une analyse de la série des Terminators


"Le scénario est débile mais les effets spéciaux éblouissants."
Jean Tulard à propos de
Terminator 2
in Guide des films 1885-1995, p. 1038, collection "Bouquins", Robert Laffont

On pourrait résumer le second opus des Terminator à une brochette de morceaux d'anthologies, à la fois jouissive et de pur divertissement. En un sens, évidemment, c'est le cas. Schwarzenneger "is back", mais star-system oblige, dans le rôle d'un "presque" gentil. En 1991, l'ex-Monsieur Univers autrichien avait déjà dans l'idée de soigner son plan de carrière, histoire peut-être de briguer la gouvernance de la Californie le moment venu. Grâce à Terminator 2 en particulier et son "Hasta la vista baby", Arnold a pu nourrir son discours électoral de répliques de sa filmographie.
Terminator 2 serait un film bien fait. On le regarde, le taux d'adrénaline dopé par les effets spéciaux, en mâchant bruyamment du pop-corn avec le neurone en berne. Oui, mais non. Ce film n'est pas aussi simple que ça. Au contraire, l'intelligence de sa mise en scène soutient largement la comparaison avec bien des films d'art et essai soit-disant intellos. De là à dire que c'est un chef-d'œuvre absolu, non plus. Même s'il possède une cohérence narrative peu commune, le film n'est pas dépourvue de contradictions.
D'un côté, sous couvert de montrer la lutte entre les gentils hommes et les méchantes machines, le film est en soit une machine commerciale avec planification publicitaire et placement de produits. Alors, face au dilemne de la poule et de l'œuf, nous revenons à la question de base : est-ce un film qui utilise l'argent des multinationales pour faire passer un message rebelle en les noyautant de l'intérieur ? Ou un film d'apparence rebelle appâtant le gogo pour mieux faire grimper l'action en bourse ?
Il ne s'agit pas ici de répondre à cette question saugrenue, mais d'ouvrir les yeux et les oreilles du spectateur. Voir au-delà des apparences, afin de mieux apprécier l'humour subtil (si, si), la maîtrise impressionnante de la mise en scène, la qualité d'écriture du scénario… enfin toutes ces choses qui font aimer le cinéma.

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Les personnages principaux (distribution)
Arnold Schwarzenegger : Terminator - un cyborg issu du futur
Linda Hamilton : Sarah Connor - la mère de John Connor
Edward Furlong : John Connor - futur chef de la résistance contre les machines
Robert Patrick : Le T1000 - robot polymorphe issu du futur
Earl Bœn : Le Dr Silberman - psychiatre à l’hôpital, il s’occupe de Sarah
Joe Morton : Miles Bennet Dyson - ingénieur chez Cyberdyne Systems
Jenette Goldstein : Janelle Voight - mère d’accueil de John Connor
Xander Berkeley : Todd Voight - père d’accueil de John Connor
SkyNet : Intelligence artificielle leader des machines contre les humains


Par commodité le personnage d’Arnold Schwarzenegger sera exclusivement appelé le terminator, alors que celui de Robert Patrick sera mentionné sous l’appellation de T1000.
PREMIERE PARTIE
où on s’interrogera sur les enjeux narratifs de la première partie du film Terminator 2
bleu nuit
Introduction
Dans la fameuse scène du couloir se déroule la première rencontre de John Connor avec les terminators, le personnage pense tout d’abord s’être fait repérer par la police. Étant donné ses antécédents judiciaires, il tente de s’échapper et s’engouffre dans un couloir de service. Simultanément un terminator pénètre à l'autre bout du corridor. Dans une course où le temps semble se dilater, John est pris en sandwich entre deux personnes apparemment hostiles, un policier et un terminator (un cyborg patibulaire venu du futur). Et alors qu'il a enfin John Connor en ligne de mire le terminator se met à tirer sur… le policier. Surprise, le méchant n’est plus le terminator comme dans le premier film, mais un prototype déguisé en policier qui n’a pas fini de nous surprendre.
Mais derrière ce “gun fight” d’anthologie se pointe l’ombre d’un doute. Y avait-il auparavant quelque chose qui aurait pu nous annoncer ce revirement de situation ? Comment James Cameron s’y est-il pris pour nous tromper ?


A- La Règle du jeu

Règle de base
2029, la guerre entre l’Homme et les Machines fait rage. Les adversaires sont incarnés du côté des Machines par SkyNet, une intelligence artificielle, et du côté des rebelles humains par John Connor.
Pour chaque clan, le jeu consiste à envoyer dans le passé un émissaire avec une mission particulière. Le but pour SkyNet est de détruire le John Connor de 2029 dans l'œuf, pour ce dernier l'objectif est de survivre.

La victime
Dans le premier opus de la série Terminator sorti en 1984, la victime désignée était Sarah Connor, avant même qu'elle ne devienne la mère du futur chef de la résistance.
Dans
Terminator 2 il s'agira de supprimer John Connor lui-même lorsqu'il est encore un enfant.

Voyage dans le temps
Le voyage temporel a une contrainte. Chacun des envoyés du futur vient à l'époque souhaitée à l'intérieur d'une bulle irradiant des éclairs, en étant nu comme un vers. Lorsque le T1000 arrive, en arrière plan, nous apercevons des pylones éléctriques. Lorsqu'un policier se présente suite à la débauche d'éclairs, il pense naturellement que cela est dû à un problème de court-circuit. Une erreur d'appréciation que le T1000 rendra fatale.

Donc d'un côté nous avons un prédateur, de l'autre un protecteur. Afin de passer inaperçu leur premier objectif sera de se trouver des vêtements et ensuite trouver la proie…


A-1
Qui est le prédateur, qui est le protecteur ?

En 1984, la proie était Sarah Connor, la future mère de John Connor. Le prédateur était le terminator et le protecteur était Kyle, un humain du futur qui allait devenir le propre père de son chef.

Le Loubard
En 1995, le terminator revient. Il est toujours aussi violent. La fameuse séquence où le terminator cherche des vêtements dans le bar fréquenté majoritairement de Hell's Angels patibulaires va se terminer en bagarre. Elle tournera à l'avantage du cyborg, insensible à la douleur. Schwarzy s’habille donc en loubard, tout en cuir, lunettes de soleil, grosse moto… Dans le premier opus, le terminator avait déjà tendance à s’habiller chez les marginaux puisqu’il volait quelques vêtements à des punks (voir ci-dessus). On peut donc le suspecter de demeurer ce fameux prédateur.

Le policier
Le T1000 n’a pas encore dévoilé sa nature, cependant aucun indice notable ne le désigne comme un robot (ce qui nous conduirait plutôt à penser qu’il n’en n’est pas un). Physiquement il est assez proche de Kyle, le protecteur du premier opus. Contrairement au terminator, il ne démontre pas un appétit de violence débordant et son uniforme de policier le met symboliquement du côté de la loi, des justes. On peut lire sur la voiture de police qu’il s’est procurée en même temps que l’uniforme, “To protect and to serve” (Protéger et servir). Il semblerait donc qu'il endosse le rôle du protecteur. Là encore le retour au premier opus confirme cette intuition puisque Kyle y était lui aussi aux prises avec des policiers (voir ci-dessus). En associant Kyle et le T1000, James Cameron souligne volontairement son rôle "hypothétique" de protecteur.
En cherchant du côté de la proie nous trouverons peut-être des pistes supplémentaires.


A-2 - Qui protéger, qui tuer ?
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Comme l’atteste son casier judiciaire bien garni, John Connor est né en 1985, il a 10 ans (nous sommes donc en 1995), il est dans une famille d’accueil, la famille Voight. Sa mère, Sarah Connor, croupit dans un hôpital psychiatrique.
John fait parti de ces enfants qui sont nés avec un joystick entre les mains. Il détourne de l'argent des distributeurs automatiques grâce à un gadget informatique et épuise sa libido d'ado rebelle sur des jeux vidéos. James Cameron, par ces séquences apparemment anodines, justifie la future reprogrammation du terminator par le John adulte. Cette expérience précoce fera de lui l'adversaire implacable de SkyNet. Cette intimité avec le monde numérique va être enrichi, par la suite, par son vécu partagé avec le terminator. Les rapports étranges entre les deux héros vont se concrétiser par, d'un côté, le rôle paternaliste protecteur incarné par le cyborg, de l'autre, par le rôle d'initiateur de l'adolescent. En effet, John va inculquer au terminator quelques règles primaires de vie en société.

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John a une moto rouge et blanche, il aime la musique hard rock, il a aussi un goût pour la marginalité, la liberté (son T-shirt Public Enemy, correspond à un groupe de rap, dont le principal message se résume à leur chanson phare : Fight the power). Voleur, débrouillard, rebelle…, on comprend alors que John Connor ait une certaine répulsion pour les forces de l’ordre.
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A-3 - Comment le trouver ?
On observe tout d’abord que le policier, logiquement, mène une véritable enquête, basée sur des recoupements, interrogations du système informatique de la police, des investigations dans la famille d’accueil par exemple.
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En revanche, le terminator, lui, semble aller vers les lieux stratégiques de manière programmée, presque sans aide extérieure, en se contentant de suivre John Connor à distance, sans intervenir.
A ce moment là tout nous pousse à croire que le cruel terminator loubard est là pour supprimer John Connor. Le policier discret et raisonnable semble là pour le sauver. Mais essayons de voir au-delà des apparences…


A-4 - Comment reconnaît-on un Terminator ?

Le terminator est un cyborg, c’est à dire qu’il est mi-homme mi-machine. Ce qui explique sa manière très particulière de voir le monde, ainsi que son bruit caractéristique de casserole lorsqu’on lui tire dessus.


Pour le repérer, il suffit de trouver un loubard qui ressemble à Arnold Schwarzenegger. Mais il existe un autre moyen infaillible : le chien. Le meilleur ami de l’homme a tendance à beaucoup aboyer en présence d’un terminator (figure ci-dessous).

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Comme par hasard, on trouve Max dans la famille d’accueil où vit John. C’est un beau berger allemand dont il a hérité de sa mère Sarah.

A-5 - Comment ne pas se tromper ?
Le prédateur est de 2029, il ne connait pas John de manière intime. Il va devoir compenser ce manque d'informations en menant son enquête avec logique. Pour cela il peut s’appuyer sur les bases de données disponibles (annuaire, casier judiciaire…).
Le protecteur est lui aussi de 2029, il a l’avantage d’avoir été en contact direct avec John Connor de 2029. Auprès de lui il aura déjà reçu quelques informations essentielles (photo de Sarah Connor, lieux de ses fréquentations…). Car John Connor sait à peu de chose près où il se trouvait dans cette période mouvementée de sa vie.

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A-6 - L’énigme du "Qui est qui" ?

On l'a vu, le personnage envoyé par John Connor, à la différence du prédateur, doit obligatoirement savoir où se trouve la proie. En effet, il suffit au chef de la résistance d'informer son émissaire de sa position spatio-temporelle puisque John Connor a déjà vécu ce moment. Et force est de constater que dans Terminator 2, seul le terminator répond à cette nouvelle définition.
Pour résumer : Il ne cherche pas, il trouve. Alors que son adversaire ne trouve pas tout de suite, il cherche. Mais si le terminator est le protecteur, alors qui est l’autre ? Quelle est sa nature ? La réponse devient limpide lorsque le policier vient interroger la famille d’accueil au sujet de John Connor. Dans une série de "champ", "contre-champ" on entend les aboiements du chien Max, visible dans le jardin, au bout du couloir, dans l’arrière-plan. Et les chiens, on l’a déjà dit, n’aiment pas les terminators. C'est donc grâce aux indications du chien que l'on peut découvrir la véritable nature du policier. C'est un terminator. Mais comme il est différent dans son apparence au modèle incarné par Arnold Schwarzenegger, on imagine qu'il s'agit d'un nouveau modèle !

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On se rend compte en mettant en lumière cette dernière scène apparemment anodine et le comportement des deux terminators que le film, avec une grande économie de parole, par la clarté de l’écriture scénaristique et de la mise en scène compose une réalité plus complexe qu’il n’y paraît au premier abord.

A-7 - Qui va arriver le premier ?

Mais James Cameron, conscient que cet indice est masqué par les multiples fausses pistes du début de l’intrigue insiste jusqu’au rebondissement final de cette première séquence sur le rôle de prédateur du terminator. Ce dernier lorsqu’il arrive en même temps que le T1000 à l’autre extrémité du couloir sait par avance que son adversaire sera présent. A ce moment-là, le terminator a déjà profité de sa pré-connaissance du futur (il a été programmé par John Connor qui a déjà vécu la scène) pour se préparer à tirer plus rapidement que le policier qui vit la scène en direct. Cette petite avance va permettre à John de s’échapper.


B - Le Nouveau duel :
La jonction est faite. Le protecteur retrouve son protégé. Ils peuvent enfin échanger les informations pour permettre au jeune John Connor de mieux saisir sa situation. Désormais nous savons que le policier est un T1000. Un robot d’une nouvelle génération qui a la particularité d’être polymorphe, c’est-à-dire qu'il peut prendre la forme qu’il souhaite (aussi bien un parquet, qu’une femme, un policier…) simplement en touchant l'original. Cette faculté est illustrées par les images de synthèse du studio ILM.

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D’un côté nous avons une machine solide et brutale, le vieux terminator.
De l’autre le T1000, une machine polymorphe qui se régénère presque automatiquement, même lorsqu’elle est démantibulée.
Dès leur première rencontre, James Cameron utilise un vieux procédé narratif qui consiste à faire se mesurer deux personnages, un test comparatif en quelque sorte. Bien sûr, nous avons toujours besoin d’une valeur étalon pour mesurer la différence entre les deux forces en opposition. La valeur étalon ici est le terminator, ancienne génération. Même pour ceux qui n'ont pas vu le premier film de la série, la séquence du bar suffira à montrer la puissance destructrice du cyborg ainsi que sa robustesse. De l'autre côté se trouve le nouveau modèle, par nature inconnu du spectateur : le T1000. L'erreur serait de se fier aux apparences, comme pour son uniforme et de ne voir en lui qu'un petit freluquet.
Dans le fameux couloir de service, lorsque le policier propulse le vieux modèle à travers une vitrine comme un vulgaire gêneur, le spectateur comprend alors que le prototype envoyé par SkyNet est loin d’être le petit freluquet qu’il semblait être au départ. Cela annonce une nouvelle confrontation dont le reste du film est l’illustration plus ou moins heureuse.