Analyse de film

Noï Albinoï

Scène : la cachette du museum d’histoire naturelle
Iris et Noi veulent sortir. Mais le dénuement de la ville pour des sorties récréatives les poussent à trouver un lieu. Sur une idée de Noi, ils rentrent par effraction dans le museum d’histoire naturelle.
Iris fait preuve d’initiative en lançant une pierre sur la vitre pour accélérer le rythme (Noi essayait vainement de crocheter la porte). Ce faisant elle assume cette transgression de part une volonté d’échapper au froid polaire extérieur.
Ils pénètrent à l’intérieur du musée, au milieu d’animaux polaires figés dans une ultime posture. Pendant un court moment, ils se sentent protégés de l’extérieur. Mais ce sentiment est de courte durée. C’est au tour du gardien d’intervenir. Il sera traité par la mise en scène de manière allusive. Il est hors-champ, nous entendons sa voix (hors-champ) et il allume la lumière dans la gallerie.
Après la fuite du froid, c’est la fuite du gardien qui les poussent à se replier dans une sorte de petit débarras. Après un moment de silence, Iris se déplace vers un objet caché par un tissu blanc. C’est une carte du monde. L’idée de partir d’Islande semble surgir naturellement chez les deux jeunes. De sorte que c’est un voyage à deux qui les poussent à évoquer une destination. Le choix opéré par le hasard tombe sur une autre île volcanique : Hawaï. Une sorte de sœur jumelle de l’Islande, le soleil, la chaleur en plus et la neige, le froid en moins !
La notion de voyage, de déplacement contraste beaucoup avec l’immobilité sous-jacente à toute cette séquence. Immobilité des animaux empaillés, immobilité morale, immobilité du au froid et la neige. La seule solution pour survivre est le mouvement, la fuite. Noi veut éviter notamment les fausses fuites de son père : l’alcool, le karaoké sur des chansons américaines et faire le taxi (partir pour mieux revenir).


Dans cette séquence sont regroupés la plupart des thématiques qui traversent le film et qui forme une sorte de réseau symbolique.
Ainsi en dévoilant la carte du monde. Elle fait tomber un lourd tissu blanc qui occultait le monde. Belle image qui résonne de manière prophétique lorsque l’on sait que c’est après une avalanche que Noi sera libéré des contraintes passées. Le tissu évoquant la couverture neigeuse à l’origine de l’avalanche. Mais ce mouvement de la neige aura pour incidence l’immobilisation et donc la mort de ses proches. Il pourra désormais découvrir le monde.

Le jeu qui consiste à choisir une destination exotique fait écho à tous les jeux qui ponctue le film (le rubiscube, le mastermind, la machine à sous…) dans lesquels Noi excelle d’autant plus qu’il ne se gêne pas pour tricher. Cette manière de provoquer le sort pour qu’il vous soit favorable lui permet de porter sur les choses un regard différent. C’est lui par exemple qui prend l’initiative d’allumer la carte du monde par derrière.

Un réseau symbolique
Ce qui suit retranscrit les multiples thématiques qui se répondent au sein du film. Elles traitent aussi bien de l’identité des personnages que du caractère inéluctable de leur destin.

Fixité / mouvement
Le fait de regarder les images exotiques. Elles ne bougent pas sauf à la fin du film où après pris une dimension cinématographique, la plage s’anime progressivement à l’image du son qui émerge du silence.
Lorsque Noi regarde la télé, rien ne bouge sauf l’action télévisuelle. C’est un film de kung fu asiatique. Encore une fois l’ailleurs est évocateur de mouvements qui contraste avec l’immobilité de sa vie.
Lorsque dans son effort désespéré de partir loin d’ici Noi vol une voiture, qui sera immobilisé par la neige, il prendra alors ses jambes à son cou dans une course sans issue.
noi-course

Blanc / Rouge
Le rouge et le blanc sont les couleurs qui dominent ce monde polaire. Pourquoi le rouge ? Parce que l’Islande est une île volcanique. Le rouge pour la lave donc. A l’instar de la lave, Noi brûle de sortir. La ville et Noi partagent une apparence désertique, l’absence de pilosité chez l’un, la neige chez l’autre. Et à l’intérieur l’activité volcanique qui pousse au mouvement.
Le rouge dans ce cadre aussi le symbole d’un danger imminent. Il apparaît clairement dans le jeu coloré. Le pompier qui va annoncer la mort imminente dans le fond de la tasse est entouré de rouge. Celui du camion de pompier, les boutons de la grand-mère de Noi.
pompier
Mais il y a aussi la visionneuse de diapo qui est d’un rouge soutenu, comme l’avalanche de sang sur le père et la grand-mère de Noi. Image d’autant plus prophétique sur le drame à venir que Noi n’est pas tâché du tout.
noi-blood
noi-blanc
Lorsqu’enfin le père de Noï se met à chanter devant un rideau rouge une chanson tout à fait signifiante : “like a snowfly” qui raconte l’envie de sortir d’un ghetto.
as a snow fly

Le jeu
A plusieurs reprises nous voyons Noi jouer. Il y a tout un rituel mis en place. Noi joue et est rétribué par sa victoire. C’est d’abord la machine à sous (une avalanche de petite monnaie), puis le mastermind (les livres de fesses), et le rubiscube (un bon rapport du psy). Un des points communs de tous ces jeux c’est leur caractère coloré (trouver la bonne couleur, ranger par couleur…).
Les trois récompenses sont des habitués du bulletin journalier des horoscopes. En effet on y parle avant tout d’argent (petite monnaie), d’amour (livres de fesses), et de monde professionnel (bon rapport).

L’arc en ciel
C’est une séquence particulière. Elle n’est pas à sa place logiquement parlant, mais sa place symboliquement est fort judicieuse. Elle intervient après son éviction du Lycée. Le paysage est estival, pas de neige, le soleil brille. Mais lorsque Noi va voir son père juste après, pour lui annoncer la mauvaise nouvelle, la neige est omniprésente.
Le jet de pierre trouve sa justification dans l’envie de se passer le nerfs, peut-être même de faire un vœu. Le caractère merveilleux n’est pas très loin puisque l’on ne vois pas la pierre retomber dans l’eau. Partie au delà de l’arc-en-ciel à la manière d’un Magicien d’Oz ?
On peut projeter que par une sorte d’effet papillon, ce vœu est exaucé, au-delà de ce qu’il pouvait imaginer.

Le faux départ
Au départ on peut considérer cela comme une réaction à la lecture dans le mare de café. Noi veut à tout prix éviter un destin tout tracer et cherche à s’en échapper maladroitement. Son hold-up est pitoyable, sa course poursuite avec la police ne l’est pas moins. Mais ce qui le touche le plus est ailleurs.

Argent : Le hold-up était un moyen de gagner de l’argent rapidement, car selon l’augure la fin est imminente. On notera au passage que le logo de la banque est un trèfle à quatre feuille qui sert aussi de symbole de réussite lorsque la machine à sous fait son jackpot…
machine a sous
hold up

SIgne extérieur de réussite : Contre mauvaise fortune bon cœur il retire tout de même ses économies de la banque, s’achète un beau costume et vol une voiture. Après l’argent, ce sont les signes extérieurs de la réussite qu’il recherche (malgré le bonnet).

L’Amour : Et enfin c’est l’amour ! Iris est comme d’habitude au comptoir. Son rôle est de remplir de gazoil les voitures qui partent mais elle semble désormais figée dans ce rôle. Lorsque Noi vient la voir, leur parcours ressemble à une banquise qui se serait brisé en deux et dont deux parties dérivent sans espoir de retour l’une vers l’autre. Ce qui était uni ne l’ai plus.


L’ailleurs
Hawaï, le frère jumeau de l’Islande est sans cesse évoqué. Hawaï est une île volcanique, certes mais la comparaison s’arrête là. L’indigène montré dans les images d’Hawaï est torse nu, assez gros, cheveux longs et bruns.
indigene
Noï est maigre, habillé chaudement, chauve.
On discerne donc la volonté d’opposé les deux régions pour faire naître chez Noï le désir de changement. Cette île est paradisiaque de son point de vue parce que justement elle est opposée à l’Islande.
Plusieurs motifs visuels vont rappeler cette obsession. La séquence du Musée comme génèse. Par la suite c’est le gâteau d’anniversaire en forme d’île du pacifique, le cadeau : la visionneuse montrant des images d’Hawaï, la chemise hawaïenne de son père, la tapisserie en palmier… vont ancrer inconsciemment l’idée dans le cerveau du spectateur.

Tigre et Dragon

Scène : double langage autour d’un thé
Cette séquence est très importante puisqu’elle lève le voile autour d’un enjeu narratif d’ordre policier. Qui a commis le vol de l’épée “Destinée” ?
Ang Lee a fait de cette scène un équivalent verbal des joutes aériennes qui ont fait la réputation de ce film. On y trouve Shulien (Michelle Yeoh) qui offre des présents de la part de madame Peï destinés à la fille du Gouverneur Yu : Tiao- Long Yu (Zhang Ziyi), en vue de son prochain mariage.
La grande adresse de cette séquence est de donner à Shulien le devoir de prévenir Tiao qu’elle est découverte et qu’elle doit rendre l’épée : “Destinée”. Mais, derrière cette volonté affichée de Shulien de rendre l’objet dont elle avait la garde à celui qu’elle aime secrètement, il y a la volonté d’atteindre la Hyène pour que Li-Mu-Baï puisse venger la mort de son maître.
Cette prouesse réthorique témoigne du raffinement de la culture chinoise autour du non-dit, où le sens affleure des mots.
A ce jeu là, Shulien profite du fait que la bienséance interdit à la jeune fille d’intervenir dans la conversation qui se déroule face à elle. Tout ce qu’elle peut faire c’est écouter le sens caché des paroles. Comprendre que la Hyène est démasquée. Shulien sait qu’il s’agit de sa gouvernante. Cela sonne aussi comme une mise en garde : attention la gouvernante est une meurtrière ! Le courroux du seigneur Peï et de Li-Mu-Baï est tournée contre cette dernière et non contre elle. Mais si ces paroles ont pour but d’apaiser la jeune fille, elles ne laissent guère de choix. Si Tiao ne rend pas l’épée Shulien la prévient des conséquences directes : “D’après le Seigneur Peï tout le monde peut commettre une erreur. Certaines peuvent devenir fatales à leur auteur et aussi à toute leur famille.”
La mise en scène va expliciter cette interaction discrètement. Ce sont notamment des regards d’adresses de Shulien vers la jeune Tiao, alors que ses paroles sont dirigées vers la maîtresse de maison.
Du coup, cette scène fait surgir un humour léger mais corrosif. En effet, Madame Yu en garante des bonnes mœurs, s’offusque du vol et s’en prend à l’indélicatesse des domestiques tout en se faisant partisanne de la plus grande sévérité envers les coupables. Alors que le spectateur a compris depuis un certain temps que le coupable n’a rien d’une domestique et est la propre fille de Madame Yu. Ce qui souligne s’il en était besoin l’aveuglement de la maîtresse de maison à ce qui se trame autour d’elle.

Subséquement, Tiao ira rendre l’épée “Destinée” de la même façon qu’elle l’a volée et sèmera le début d’une discorde entre Tiao et la Hyène.
Enfin, cette séquence illustre parfaitement le caractère novateur par rapport au wu xan pian traditionnel. On assiste ici à une scène 100% féminine. L’intégration de femmes à la forte personnalité (Shulien, la Hyène et Tiao) se combattant aussi bien par l’épée, le sabre, le poison que par la parole. Le film, comme le « Mulan » de Disney, cherche à donner à la femme chinoise l’aspiration à l’émancipation qu’elle mérite. Les modèles proposés : l’aventurière blasée, la jeune promise cultivée et la gouvernante meurtrière inculte ont pour points communs de pouvoir faire mieux que se défendre face à la plupart des hommes (sauf Li-Mu Baï) et d’avoir comme Shulien une intelligence émotionnelle supérieure (le seigneur Peï a une parole fort pertinente au sujet de Li-Mu Baï : « Pour ce qui est des sentiments, les héros, aussi grands soient-ils, peuvent se conduires en parfaits imbéciles. »).

Les hommes sont donc présentés comme faibles : le maître de Li-Mu Baï mourra empoisonné par la Hyène parce qu’il était interessé par ses charmes, le policier vengeur mourra à cause de la Hyène, Li-Mu Baï lui-même succombera à ses poisons. A quoi sert alors la maîtrise ? De toute manière tout être est faillible !
Etrangement plusieurs fois affleure l’impression que Shulien protège Li-Mu Baï en évitant les combats lorsqu’ils le peuvent et n’hésitant pas à combattre. Comme cette séquence autour du thé le prouve, elle essaye d’éviter les luttes, comme elle tentera, plus tard, de persuader (en vain) Li-Mu Baï et Tiao de ne plus jouer les aventuriers. L’un pour le garder pour elle et l’autre pour qu’elle puisse se marier (son aspiration personnelle) et surtout pour empêcher les deux de rentrer dans le cercle vicieux du maître Li-Mu Ba. Il fut tué par la Hyène qui voulait le livre et les secrets de combat qu’il recelait. Ayant échouée malgré tout ses efforts, Shulien verra Li-Mu Baï mourir dans ses bras du fait de la Hyène qui voulait retrouver son ascendant sur Tiao, convoitée elle aussi par Li-Mu Baï.



Un réseau symbolique
Le film possède un jeu assez particulier de motifs se répondant les uns aux autres. Derrière cela, il y a une manière de pensée typiquement asiatique mais aussi volontairement décalée.

Equilibre / déséquilibre
Il n’y a pas un mais quatre héros au final dans ce film. Deux hommes, deux femmes. Deux couples. Deux générations. Des statues sociaux différents.

Le premier couple : Shulien / Li-Mu Baï, adultes accomplis arrivent dans une étape décisive de leur relation. Li-Mu Baï veut rattrapper le temps perdus et Shulien attend qu’il se révèle. Ils vivent au contact de la société, dont ils ont acceptés implicitement les règles. Ils respectent la parole donnée, et ils ont du respect pour les maîtres.

Le second couple : Tiao (Jen) / Lo sont jeunes, impulsifs. Leur rencontre leur à permis de pouvoir vivre en dehors de la société chinoise. Ils ont pu faire ce que Shulien et Li-Mu Baï aspirent à faire (vivre ensemble et plus si affinité !). Mais ce ne fut qu’une bouffée de liberté temporaire pour Tiao. Le retour vers ses parents va correspondre à une sorte d’emprisonnement dans une cellule dorée. Elle mettra alors le même acharnement à s’évader qu’à vouloir récupérer son peigne. Cet acharnament à ne pas faire comme les autres la ménera à tout détruire autour d’elle.

Ces deux couples ont des raisons de se jalouser mutuellement.

Shulien et Li-Mu Baï aimeraient bien pouvoir se marier comme Tiao, mais Li-Mu Baï était le frère de sang de feu le mari de Shulien, cette relation peut paraître déplacée. Ils envient aussi la liberté, l’audace qui à permis à ces deux jeunes de se rencontrer et de s’aimer. Alors que de leur côté, leur vie d’aventures ne leur à pas permis d’être suffisamment stable pour approfondir leur relation. Shulien plus particulièrement est impressionnée par l’éducation (savoir calligraphier…) de Tiao.

De l’autre côté
Tiao recherche chez Li-Mu Baï et Shulien l’excitation de l’aventure, et tout ce qui l’oppose à la vie saine et rangée qu’elle mène chez ses parents. Son départ et la vaste bagarre dont elle est l’origine montre qu’elle peut battre une troupe d’hommes patibulaires. Cette recherche est telle qu’elle devient très égoïste, refoulant l’homme qui l’aime comme un fou, non par sa personnalité mais parce que c’est un homme. Et qu’elle se sent brimée par eux.

Nous sommes donc face à deux opposés qui recherche chez l’autre une part qui lui manque et qui se rapproche dans le principe du Yin et du yang (si on le dégage du contexte dualliste du bien et du mal).


Décalage
Le décalage à lieu à plusieurs niveaux.
Le raffinement de la pensée et de la poèsie chinoise n’y font pas défaut.
Mais le
machisme y est ridiculisé plus d’une fois à la fois par les armes mais aussi par les relations humaines (le garde est l’exemple typique du ridicule conjugué au masculin, dans les combats où il est plus que pitoyable et dans son rapport avec la fille du policier). Les femmes y font souvent plus preuve de discernement et d’indépendance d’esprit.
La
narration est assez étrange. Au milieu du film nous avons droit à un long flash-back. Cette entorse au récit linéaire va être renforcée par une fin assez énigmatique. Contrairement à la mode hollywoodienne du happy-end (ce film est américain, ne l’oublions pas) le film se termine par la mort de Li-Mu Baï (malgré le montage alternatif susceptible de montrer que Tiao peut revenir à temps avec l’antidote). Par voie de conséquence, le couple n°1 étant cassé, le couple n°2 lui aussi se casse. Tiao se jette du haut de la montagne dans le but d’exaucer un vœu que la légende promet au cœur pur suicidaire. La fin a une dimension tragique qui sera souvent reprise dans les films de Zhang Yimou (Hero…), basé sur un modèle similaire. Mais elle a une dimension mystérieuse. Les cœurs purs croiront au salut (le vœu est exaucé, mais quel vœu ?), les autres penseront plus à de la purée de mandarine !

Edward aux mains d'argent

Edward aux mains d’argent
Tim Burton - 1990


Un être atrophié
Edward est un être sensible, mais il n’a pas de mains organiques. À leur place, il a un appareillage coupant et tranchant constitué de ciseaux. Il en résulte qu’il ne peut pas témoigner son affection à ceux qu’il aime sans les blesser. C’est le drame d’Edward qui traduit symboliquement l’impossibilité d’exprimer les sentiments qu’on éprouve.


Un monstre au pays du banal
Pour rendre compte de la dimension extraordinaire d’Edward, Tim Burton le fait évoluer dans un univers qu’il connaît bien : une banlieue sans histoire, celle où il a passé son enfance : Burbank. Mais comme la banlieue californienne s’est métamorphosée au cours des dernières décennies il plante sa caméra en Floride, dans une ville assez représentative de ses souvenirs.
Le fil narratif va être une sorte de visite guidée jubilatoire de notre monde (notre vie familiale, moderne, nos relations humaines, notre rapport à l’apparence) par un étranger.


La narration
Une mise en abyme classique. Une grand mère explique à sa petite fille d’où vient la neige en racontant un conte. La caméra plonge hors de la maison vers la banlieue enneigée et termine sa course par un plan fixe sur le château lugubre qui surplombe la ville. Puis la caméra prend le contre-champ et filme la banlieue à partir du château. Mais un saut temporel a eu lieu puisque nous ne voyons plus de neige sur la ville.
Le récit est assez linéaire sauf qu’à trois reprise nous assistons à des flashs backs qui montrent :
- la génèse de la naissance d’Edward (le savant met symboliquement un cœur à un robot qui coupe des légumes, comme Edward à ce moment dans la cuisine).
- les leçons de savoir-vivre et de poèsie du vieux savant à Edward.
- le savant présente les mains à Edward mais meurt avant de les lui greffer.
Cette structure autour du flash back va être utilisé par Tim Burton dans
Sleepy Hollow, la légende du cavalier sans tête (encore un à qui il manque quelque chose !) où Johnny Depp (Ichabod Crane) revoit sa mère et son père dans des rêves dégénérant en cauchemars. les deux films ont la particularité de s’inspirer du film de James Whale : Frankenstein. Dans Edward par cette notion de savant qui donne vie à une créature et dont la foule pourchassera dans une battue. Sleepy hollow reprendra en particulier le thème du moulin en flamme à la fin.

avon grosse
Séquences d’expositions
Le liant à cette histoire est Peg Boggs (Diane Wiest) qui fait sa tournée sa prospection pour la société de produits de beauté : Avon. C’est l’occasion de se familiariser à la petite vie banlieusarde, en particulier à sa faune et sa flore. On y observe la grosse permanentée, la nymphomane pomblophile, la bigotte introvertie, la pauvre roséophile… dans une myriade de couleurs pastelles. Absents notoires : les maris de ces femmes qui sont, bien entendu, au travail. Nous sommes en plein dans dans “l’American way of life” ou les femmes sont, par définition, au foyer, ou presque puisque Peg, semble-t-il dégoûtée par son environnement proche décide d’aller tâter de l’exotique en se rendant à l’inquiétant château sur la colline.
Elle y rencontre Edward et, malgré sa crainte première, ses réflexes professionnels reprennent le dessus puisqu’elle invite ce dernier à une cure d’avonthérapie chez elle, afin de remédier aux multiples cicatrices que le pauvre s’est infligée au cours de son existence.
Edward deviendra évidemment l’élément perturbateur qui va rompre le cycle routinier de cette petite communauté.
nympho

Les lieux, terres de contraste
Il y a bien sûr un contraste évident entre l’architecture gothique et sombre du château et celle en boîte de chaussures qui personnalise la banlieue.
Mais si l’on oriente notre analyse sur le pivot que représente Kim on observe que deux satellites gravite autour d’elle : Jim et Edward. Ces deux êtres que tout oppose, si ce n’est l’élue de leur cœur, ont des lieux de vie complètement opposés à l’image de leur personnalité.
chateau lugubre
Edward vie dans un château assez gothique, sombre, presqu’en ruine. Il a un aspect inquiétant de par sa couleur extérieur, son architecture tourmentée et lugubre. Mais une fois franchie le portail Peg est véritablement enchantée par la beauté des jardins, par leur ingéniosité, par les talents d’imagination qu’ils suggèrent.
jardin secret
Jim passe le plus clair de son temps dans une camionnette atteinte de tuning jusqu’au dernier degrés. L’aspect extérieur est certes agressif, mais le véhicule est flambant neuf et constitue, on s’en doute, l’apothéose esthétique d’un fils à papa comme Jim.
Une fois dans le véhicule on se rend compte automatiquement du problème. C’est aussi étroit que l’esprit de Jim, et le centre du véhicule n’est autre que la glacière à alcool (bière, whisky…). Bonjour le rêve et le romantisme !

Ces deux exemples soulignent l’écart entre la nature réelle et l’apparence des individus. Jim et Edward sont opposés en ce sens que l’un mise tout sur l’apparence et l’autre cultive son jardin secret. Leur lieu de vie est une représentation symbolique et juste de leur personnalité. Le thème ici de l’être et du paraître est repris avec une ingéniosité rarement égalée.


Les couleurs
Là encore, les oppositions sont légions. Le château et Edward contrastent dans l’univers pastel de la banlieue. Ils font tâche ! Mais Edward va s’adapter, s’intégrer à la vie humaine. Cela va se matérialiser par le port d’une pantalon et d’une chemise blanche. Ce n’est que lorsqu’il sera chassé par tous qu’il va oter cette chemise et retrouver en dessous sa combinaison noire.
À l’approche de Noël, le blanc et le rouge vont être particulièrement associé dans la maison des Boggs (Murs et sapin blancs, décorations rouges) et seront prémonitoire de l’évènement centrale : la blessure de Kim. Alors qu’Edward sculpte dans la glace un ange à l’image de Kim (on observe cette double couche : glace blanche / ange blanc), elle-même habillée de blanc, Jim apparaît  et surprend Edward qui dans un geste non contrôlé blesse la main de Kim. Le sang rouge coule sur la main blanche. Cette association durera encore longtemps puisque les séquences de début et de fin, où l’on voit la grand-mère expliquer l’origine de la neige à sa petite fille, baignent dans ces deux couleurs.

Terminator


Une analyse de la série des Terminators


"Le scénario est débile mais les effets spéciaux éblouissants."
Jean Tulard à propos de
Terminator 2
in Guide des films 1885-1995, p. 1038, collection "Bouquins", Robert Laffont

On pourrait résumer le second opus des Terminator à une brochette de morceaux d'anthologies, à la fois jouissive et de pur divertissement. En un sens, évidemment, c'est le cas. Schwarzenneger "is back", mais star-system oblige, dans le rôle d'un "presque" gentil. En 1991, l'ex-Monsieur Univers autrichien avait déjà dans l'idée de soigner son plan de carrière, histoire peut-être de briguer la gouvernance de la Californie le moment venu. Grâce à Terminator 2 en particulier et son "Hasta la vista baby", Arnold a pu nourrir son discours électoral de répliques de sa filmographie.
Terminator 2 serait un film bien fait. On le regarde, le taux d'adrénaline dopé par les effets spéciaux, en mâchant bruyamment du pop-corn avec le neurone en berne. Oui, mais non. Ce film n'est pas aussi simple que ça. Au contraire, l'intelligence de sa mise en scène soutient largement la comparaison avec bien des films d'art et essai soit-disant intellos. De là à dire que c'est un chef-d'œuvre absolu, non plus. Même s'il possède une cohérence narrative peu commune, le film n'est pas dépourvue de contradictions.
D'un côté, sous couvert de montrer la lutte entre les gentils hommes et les méchantes machines, le film est en soit une machine commerciale avec planification publicitaire et placement de produits. Alors, face au dilemne de la poule et de l'œuf, nous revenons à la question de base : est-ce un film qui utilise l'argent des multinationales pour faire passer un message rebelle en les noyautant de l'intérieur ? Ou un film d'apparence rebelle appâtant le gogo pour mieux faire grimper l'action en bourse ?
Il ne s'agit pas ici de répondre à cette question saugrenue, mais d'ouvrir les yeux et les oreilles du spectateur. Voir au-delà des apparences, afin de mieux apprécier l'humour subtil (si, si), la maîtrise impressionnante de la mise en scène, la qualité d'écriture du scénario… enfin toutes ces choses qui font aimer le cinéma.

terminator  copieSARAHjohn vs t800 copieflic copiePSY copieMORTON copieTOD copieMÈRE copie

Les personnages principaux (distribution)
Arnold Schwarzenegger : Terminator - un cyborg issu du futur
Linda Hamilton : Sarah Connor - la mère de John Connor
Edward Furlong : John Connor - futur chef de la résistance contre les machines
Robert Patrick : Le T1000 - robot polymorphe issu du futur
Earl Bœn : Le Dr Silberman - psychiatre à l’hôpital, il s’occupe de Sarah
Joe Morton : Miles Bennet Dyson - ingénieur chez Cyberdyne Systems
Jenette Goldstein : Janelle Voight - mère d’accueil de John Connor
Xander Berkeley : Todd Voight - père d’accueil de John Connor
SkyNet : Intelligence artificielle leader des machines contre les humains


Par commodité le personnage d’Arnold Schwarzenegger sera exclusivement appelé le terminator, alors que celui de Robert Patrick sera mentionné sous l’appellation de T1000.
PREMIERE PARTIE
où on s’interrogera sur les enjeux narratifs de la première partie du film Terminator 2
bleu nuit
Introduction
Dans la fameuse scène du couloir se déroule la première rencontre de John Connor avec les terminators, le personnage pense tout d’abord s’être fait repérer par la police. Étant donné ses antécédents judiciaires, il tente de s’échapper et s’engouffre dans un couloir de service. Simultanément un terminator pénètre à l'autre bout du corridor. Dans une course où le temps semble se dilater, John est pris en sandwich entre deux personnes apparemment hostiles, un policier et un terminator (un cyborg patibulaire venu du futur). Et alors qu'il a enfin John Connor en ligne de mire le terminator se met à tirer sur… le policier. Surprise, le méchant n’est plus le terminator comme dans le premier film, mais un prototype déguisé en policier qui n’a pas fini de nous surprendre.
Mais derrière ce “gun fight” d’anthologie se pointe l’ombre d’un doute. Y avait-il auparavant quelque chose qui aurait pu nous annoncer ce revirement de situation ? Comment James Cameron s’y est-il pris pour nous tromper ?


A- La Règle du jeu

Règle de base
2029, la guerre entre l’Homme et les Machines fait rage. Les adversaires sont incarnés du côté des Machines par SkyNet, une intelligence artificielle, et du côté des rebelles humains par John Connor.
Pour chaque clan, le jeu consiste à envoyer dans le passé un émissaire avec une mission particulière. Le but pour SkyNet est de détruire le John Connor de 2029 dans l'œuf, pour ce dernier l'objectif est de survivre.

La victime
Dans le premier opus de la série Terminator sorti en 1984, la victime désignée était Sarah Connor, avant même qu'elle ne devienne la mère du futur chef de la résistance.
Dans
Terminator 2 il s'agira de supprimer John Connor lui-même lorsqu'il est encore un enfant.

Voyage dans le temps
Le voyage temporel a une contrainte. Chacun des envoyés du futur vient à l'époque souhaitée à l'intérieur d'une bulle irradiant des éclairs, en étant nu comme un vers. Lorsque le T1000 arrive, en arrière plan, nous apercevons des pylones éléctriques. Lorsqu'un policier se présente suite à la débauche d'éclairs, il pense naturellement que cela est dû à un problème de court-circuit. Une erreur d'appréciation que le T1000 rendra fatale.

Donc d'un côté nous avons un prédateur, de l'autre un protecteur. Afin de passer inaperçu leur premier objectif sera de se trouver des vêtements et ensuite trouver la proie…


A-1
Qui est le prédateur, qui est le protecteur ?

En 1984, la proie était Sarah Connor, la future mère de John Connor. Le prédateur était le terminator et le protecteur était Kyle, un humain du futur qui allait devenir le propre père de son chef.

Le Loubard
En 1995, le terminator revient. Il est toujours aussi violent. La fameuse séquence où le terminator cherche des vêtements dans le bar fréquenté majoritairement de Hell's Angels patibulaires va se terminer en bagarre. Elle tournera à l'avantage du cyborg, insensible à la douleur. Schwarzy s’habille donc en loubard, tout en cuir, lunettes de soleil, grosse moto… Dans le premier opus, le terminator avait déjà tendance à s’habiller chez les marginaux puisqu’il volait quelques vêtements à des punks (voir ci-dessus). On peut donc le suspecter de demeurer ce fameux prédateur.

Le policier
Le T1000 n’a pas encore dévoilé sa nature, cependant aucun indice notable ne le désigne comme un robot (ce qui nous conduirait plutôt à penser qu’il n’en n’est pas un). Physiquement il est assez proche de Kyle, le protecteur du premier opus. Contrairement au terminator, il ne démontre pas un appétit de violence débordant et son uniforme de policier le met symboliquement du côté de la loi, des justes. On peut lire sur la voiture de police qu’il s’est procurée en même temps que l’uniforme, “To protect and to serve” (Protéger et servir). Il semblerait donc qu'il endosse le rôle du protecteur. Là encore le retour au premier opus confirme cette intuition puisque Kyle y était lui aussi aux prises avec des policiers (voir ci-dessus). En associant Kyle et le T1000, James Cameron souligne volontairement son rôle "hypothétique" de protecteur.
En cherchant du côté de la proie nous trouverons peut-être des pistes supplémentaires.


A-2 - Qui protéger, qui tuer ?
casier john copie
Comme l’atteste son casier judiciaire bien garni, John Connor est né en 1985, il a 10 ans (nous sommes donc en 1995), il est dans une famille d’accueil, la famille Voight. Sa mère, Sarah Connor, croupit dans un hôpital psychiatrique.
John fait parti de ces enfants qui sont nés avec un joystick entre les mains. Il détourne de l'argent des distributeurs automatiques grâce à un gadget informatique et épuise sa libido d'ado rebelle sur des jeux vidéos. James Cameron, par ces séquences apparemment anodines, justifie la future reprogrammation du terminator par le John adulte. Cette expérience précoce fera de lui l'adversaire implacable de SkyNet. Cette intimité avec le monde numérique va être enrichi, par la suite, par son vécu partagé avec le terminator. Les rapports étranges entre les deux héros vont se concrétiser par, d'un côté, le rôle paternaliste protecteur incarné par le cyborg, de l'autre, par le rôle d'initiateur de l'adolescent. En effet, John va inculquer au terminator quelques règles primaires de vie en société.

easy money copie
John a une moto rouge et blanche, il aime la musique hard rock, il a aussi un goût pour la marginalité, la liberté (son T-shirt Public Enemy, correspond à un groupe de rap, dont le principal message se résume à leur chanson phare : Fight the power). Voleur, débrouillard, rebelle…, on comprend alors que John Connor ait une certaine répulsion pour les forces de l’ordre.
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A-3 - Comment le trouver ?
On observe tout d’abord que le policier, logiquement, mène une véritable enquête, basée sur des recoupements, interrogations du système informatique de la police, des investigations dans la famille d’accueil par exemple.
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En revanche, le terminator, lui, semble aller vers les lieux stratégiques de manière programmée, presque sans aide extérieure, en se contentant de suivre John Connor à distance, sans intervenir.
A ce moment là tout nous pousse à croire que le cruel terminator loubard est là pour supprimer John Connor. Le policier discret et raisonnable semble là pour le sauver. Mais essayons de voir au-delà des apparences…


A-4 - Comment reconnaît-on un Terminator ?

Le terminator est un cyborg, c’est à dire qu’il est mi-homme mi-machine. Ce qui explique sa manière très particulière de voir le monde, ainsi que son bruit caractéristique de casserole lorsqu’on lui tire dessus.


Pour le repérer, il suffit de trouver un loubard qui ressemble à Arnold Schwarzenegger. Mais il existe un autre moyen infaillible : le chien. Le meilleur ami de l’homme a tendance à beaucoup aboyer en présence d’un terminator (figure ci-dessous).

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Comme par hasard, on trouve Max dans la famille d’accueil où vit John. C’est un beau berger allemand dont il a hérité de sa mère Sarah.

A-5 - Comment ne pas se tromper ?
Le prédateur est de 2029, il ne connait pas John de manière intime. Il va devoir compenser ce manque d'informations en menant son enquête avec logique. Pour cela il peut s’appuyer sur les bases de données disponibles (annuaire, casier judiciaire…).
Le protecteur est lui aussi de 2029, il a l’avantage d’avoir été en contact direct avec John Connor de 2029. Auprès de lui il aura déjà reçu quelques informations essentielles (photo de Sarah Connor, lieux de ses fréquentations…). Car John Connor sait à peu de chose près où il se trouvait dans cette période mouvementée de sa vie.

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A-6 - L’énigme du "Qui est qui" ?

On l'a vu, le personnage envoyé par John Connor, à la différence du prédateur, doit obligatoirement savoir où se trouve la proie. En effet, il suffit au chef de la résistance d'informer son émissaire de sa position spatio-temporelle puisque John Connor a déjà vécu ce moment. Et force est de constater que dans Terminator 2, seul le terminator répond à cette nouvelle définition.
Pour résumer : Il ne cherche pas, il trouve. Alors que son adversaire ne trouve pas tout de suite, il cherche. Mais si le terminator est le protecteur, alors qui est l’autre ? Quelle est sa nature ? La réponse devient limpide lorsque le policier vient interroger la famille d’accueil au sujet de John Connor. Dans une série de "champ", "contre-champ" on entend les aboiements du chien Max, visible dans le jardin, au bout du couloir, dans l’arrière-plan. Et les chiens, on l’a déjà dit, n’aiment pas les terminators. C'est donc grâce aux indications du chien que l'on peut découvrir la véritable nature du policier. C'est un terminator. Mais comme il est différent dans son apparence au modèle incarné par Arnold Schwarzenegger, on imagine qu'il s'agit d'un nouveau modèle !

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On se rend compte en mettant en lumière cette dernière scène apparemment anodine et le comportement des deux terminators que le film, avec une grande économie de parole, par la clarté de l’écriture scénaristique et de la mise en scène compose une réalité plus complexe qu’il n’y paraît au premier abord.

A-7 - Qui va arriver le premier ?

Mais James Cameron, conscient que cet indice est masqué par les multiples fausses pistes du début de l’intrigue insiste jusqu’au rebondissement final de cette première séquence sur le rôle de prédateur du terminator. Ce dernier lorsqu’il arrive en même temps que le T1000 à l’autre extrémité du couloir sait par avance que son adversaire sera présent. A ce moment-là, le terminator a déjà profité de sa pré-connaissance du futur (il a été programmé par John Connor qui a déjà vécu la scène) pour se préparer à tirer plus rapidement que le policier qui vit la scène en direct. Cette petite avance va permettre à John de s’échapper.


B - Le Nouveau duel :
La jonction est faite. Le protecteur retrouve son protégé. Ils peuvent enfin échanger les informations pour permettre au jeune John Connor de mieux saisir sa situation. Désormais nous savons que le policier est un T1000. Un robot d’une nouvelle génération qui a la particularité d’être polymorphe, c’est-à-dire qu'il peut prendre la forme qu’il souhaite (aussi bien un parquet, qu’une femme, un policier…) simplement en touchant l'original. Cette faculté est illustrées par les images de synthèse du studio ILM.

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D’un côté nous avons une machine solide et brutale, le vieux terminator.
De l’autre le T1000, une machine polymorphe qui se régénère presque automatiquement, même lorsqu’elle est démantibulée.
Dès leur première rencontre, James Cameron utilise un vieux procédé narratif qui consiste à faire se mesurer deux personnages, un test comparatif en quelque sorte. Bien sûr, nous avons toujours besoin d’une valeur étalon pour mesurer la différence entre les deux forces en opposition. La valeur étalon ici est le terminator, ancienne génération. Même pour ceux qui n'ont pas vu le premier film de la série, la séquence du bar suffira à montrer la puissance destructrice du cyborg ainsi que sa robustesse. De l'autre côté se trouve le nouveau modèle, par nature inconnu du spectateur : le T1000. L'erreur serait de se fier aux apparences, comme pour son uniforme et de ne voir en lui qu'un petit freluquet.
Dans le fameux couloir de service, lorsque le policier propulse le vieux modèle à travers une vitrine comme un vulgaire gêneur, le spectateur comprend alors que le prototype envoyé par SkyNet est loin d’être le petit freluquet qu’il semblait être au départ. Cela annonce une nouvelle confrontation dont le reste du film est l’illustration plus ou moins heureuse.

La Nuit du chasseur

Profitant d’un passage à vide dans sa carrière d’acteur, Charles Laughton passe derrière la caméra le temps d’un seul film, en adaptant le (très bon) roman éponyme de Davis Grubb.
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Ce film se déroule au début des années 30 dans l’Ohio. Le point de vue du film est omnipotent, ce qui permet au spectateur d’être le plus souvent mieux informé que les protagonistes du récit. En effet, il est mis assez rapidement au courant de l’endroit où Ben Harper a caché l’argent du braquage, de même il connaît les véritables motivations d’Harry Powell, le soit - disant prêcheur. Cela permettra au réalisateur de faire partager intimement au spectateur les émotions intenses des héros de l’histoire.
Malgré un cadre historique clairement identifié, un univers social dépeint avec une certaine ironie, Charles Laughton oriente son film dans un univers symbolique dont il va chercher les références à la fois dans le conte de fée et la Bible.

La Bible

La Parabole

La Bible imprègne le récit de « La nuit du chasseur », en fait elle se permet une sorte de Génèse. Rachel Cooper (Lilian Gish) apparaît dans le ciel étoilé à l’instar d’une Déesse (dans un accoutrement modeste) et, par la force de son verbe, va créer un monde, celui qui va illustrer son propos pour les enfants qui l’entourent sur la notion de faux prophètes, loups féroces déguisés en douces brebis. Cette introduction (le ciel étoilé) va être reprise visuellement lorsque l’on verra pour la première fois John et Pearl, les fleurs répondant aux étoiles.
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Cette mise en abyme du récit (le récit dans le récit) permet une plus grande distanciation pour les enfants spectateurs, on est en train de leur raconter une histoire. Mais cette histoire est particulière, elle est aussi une mise en garde, afin d’être vigilant et ne pas se fier uniquement aux apparences. Afin de faire rentrer la leçon, le réalisateur va mettre en scène des enfants pour faciliter leur identification. Ce qu’ils vont vivre va pouvoir servir d’exemples sur ce qu’il faut faire ou ne pas faire lorsque l’on est confronté à un intrus. Une fois le destin scellé (le père mort, l’intrusion du pasteur dans la vie privée de la famille Harper), nous avons droit à une lutte, celle de David contre Goliath, celle d’un enfant (John) contre un adulte (Harry Powell) avec pour objet de confrontation le butin caché. Ils réussiront à s’échapper, comme l’atteste cette séquence clé où les enfants billets de Pearl passent inaperçus près des pieds de géant d’Harry Powell.
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L’Ancien et le Nouveau Testament
La duplicité du récit va être de mettre le personnage sanguinaire et psychopathe d’Harry Powell dans les atours d’un homme d’église. Alors que le film commence par montrer la sagesse de la parole sacrée, il souligne sans cesse le machiavélisme de son porte - parole. Il y a donc deux aspects, deux lectures qui vont aussi s’affronter. Celle du séduisant prêcheur, qui va gagner à sa cause la veuve Willa Harper (Shelley Winters) et la petite Ruby. De l’autre Rachel Cooper, qui voue sa vie à une cause charitable : élever les enfants perdus. Les deux croyances sont opposées Harry Powell par le caractère excessif, fanatique, expiatoire de sa foi (voir les séquences de Willa en possédée, l’abstinence relative d’Harry la nuit de ses noces) et Rachel qui est dans un registre fait de partage, de compréhension. Cette confrontation spirituelle se fera par le chant. Lorsque, sur sa souche, le prêcheur viendra chanter « Leaning » (s’appuyer), que Rachel reprendra mais en complétant le vers manquant (« Leaning on Jesus »).
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Sans doute la preuve que la foi d’Harry Powell est plus archaïque, elle s’adresse directement à Dieu, celui de l’ancien testament. Comme il le dit lui - même : « non que les meurtres te troublent, la Bible en est pleine ». Rachel, même si elle fait toujours référence à l’ancien testament (histoire de Moïse et de Salomon), par ses actes de tolérance et de charité est bien dans l’esprit du Nouveau Testament, d’où la référence à Jésus.


Adam et Eve chassé du jardin d’Eden
Le récit global des deux enfants fait référence à plusieurs thèmes fondateurs de la Bible. Lorsque John et Pearl quittent le foyer, c’est une allusion directe à Adam et Eve, chassés du Paradis, pour avoir mordus dans la pomme. Là encore ce départ forcé est lié à un savoir, non pas celui de la pomme, mais de la poupée farcie de billets verts. Par contre la pomme sera présente à des moments clés, notamment dans la cave où le prêcheur s’apprête à saigner John afin de lui faire avouer la cache du magot. Les pommes se trouvent sur le tonneau où le petit garçon pose la tête (voir le sacrifice plus loin).
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Plus tard, lorsque Rachel essaye de savoir d’où vient John, cela se fait alors qu’ils ont chacun une pomme, John réussit à savoir ce qu’il souhaite sur l’histoire des Rois et il croque la sienne. Rachel n’en saura pas plus et ménage la sienne.

Moïse, la corbeille et le Nil
L’abandon des enfants est total et irréversible, comme sur leur barque, ils ne peuvent plus aller contre le courant, il est trop fort pour eux. Abandonnés au gré de l’eau, ils vont finir par s’échouer à l’instar de Moïse dans son berceau improvisé. Comme ce dernier, ils seront secourus par une dame, Rachel.
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Abraham et le sacrifice d’Isaac
Lorsque John est à la merci de son faux père, ce dernier dans un geste rituel sort son couteau et se tourne vers le ciel (en fait le plafond de la cave) pour montrer sa relation directe avec Dieu. C’est une référence directe à un passage clé de la Bible, lorsque Abraham reçoit l’ordre de Dieu de sacrifier son fils unique Isaac, non pas dans une cave miteuse mais sur une montagne. Dans les deux cas le sacrifice n’aura pas lieu, Dieu arrêtera la main du vieil homme, et Pearl révèlera in extremis la cachette du butin.
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Le conte de fée
Comme l’indique en introduction la parabole biblique sur les faux prophètes, on fait allusion au loup qui se déguise en brebis. Le loup est souvent un élément classique, voir incontournable du conte. Le loup est facilement reconnaissable aux victimes qu’il laisse derrière lui. Un assassin psychopathe déguisé en pasteur. Il fouine, vole, tue :

- La manière dont il réussit à savoir l’existence du magot en écoutant Ben Harper parler dans son sommeil.

  • La mention snoop – fouiner en anglais - (voir photogramme) sur la vitrine lorsqu’il vient annoncer la disparition de Willa chez les Spoons !
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- Le flirt avec Ruby pour se rapprocher du magot…

Mais c’est par des caractéristiques vocales (jappements, hurlements…) qu’il va pouvoir être identifié comme un loup prêt à sacrifier ces nouveaux Hansel et Gretel pour leur soutirer l’argent.
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On le verra principalement à des moments où les enfants réussissent à s’échapper. Lorsqu’ils l’enferment dans la cave, ses doigts crochus se coincent dans la porte (cris de douleur), le soi - disant mouton devient un bélier pour défoncer la porte !
Plus tard, lorsque les enfants prennent dans la barque restaurée de leur père, Powell s’enlise dans la boue et hurle de désespoir lorsque le bateau et les enfants lui échappent à nouveau.
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Et enfin, lorsque Rachel tire un coup de fusil sur lui, il prend la poudre d’escampette en geignant.
Comme dans les contes, le loup est effrayant, ce qui rend d’autant plus spectaculaire la capacité de John et Pearl à déjouer les mauvais tours du loup. Rachel est même émue de voir la force intérieure de ces jeunes qui endure tous ces drames.
Le traitement en conte de fée est volontairement outré, le style est très graphique (les plans d’ensemble de la scène de la cave notamment) et certaines images ont une dimension très symbolique (le couteau à cran d’arrêt et l’érection - cf : scène cabaret).
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Ce film est un récit initiatique qui cherche, à l’instar des contes, à mettre en garde les enfants des dangers de la vie. Il joue aussi bien sur la dimension première, que la dimension symbolique.


Esthétique

Symétrie
Le film adopte formellement une esthétique symétrique. Ainsi l’irruption de la tête d’Harry Powell dans la cellule de Ben Harper (du haut vers le bas, Harry est installé sur un lit superposé)
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est à rattacher à celle de la maison de Rachel lorsqu’il arrive dans le cadre comme un diable sortie de sa boîte (du bas vers le haut).
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Le même geste mais dans deux directions opposées.
De même la fuite des enfants sur les berges du Mississipi va de gauche à droite et se déroule en pleine nuit. Le poursuivant est un homme.
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Lorsqu’ils vont trouver refuge auprès de Rachel, la rencontre se déroulera en plein jour, et ils iront de la droite vers la gauche.
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On pourra résumer cet équation comme suit :
Gauche = maison / foyer
Droite = fuite / incertitude

Ils sont donc chassés de leur foyer vers l’inconnu, et de l’inconnu ils vont retrouver leur foyer.
Mais cette symbolique va encore plus loin si on la soumet à un autre enjeu symétrique très prégnant dans le film : La lutte entre le Bien et le Mal, à travers la parabole des Mains (tatouées) d’Harry Powell.
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Love (droite) et Hate (gauche) vérifient l’équation citée plus haut.
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Dans la séquence qui suit le coup de fusil sur Harry Powell par Rachel, la famille recomposée forme une pyramide qui rappelle l’Egypte et l’Histoire de Moïse. C’est une structure pyramidal ou John sert de base, une sorte de pilier symbolique.
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On peut noter aussi que l’architecture propose régulièrement des arêtes aigues, ausi pointu que le couteau du pasteur, qui peuvent êtres interprétées comme la menace d’Harry Powell, puisqu’elles deviennent souvent visibles en sa présence :
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La Fuite
Lorsque John et Pearl s’enfuient sur la barque nous allons voir apparaître en premier plan des animaux. L’effet visuel est très réussit. C’est beau, poétique mais plus encore très signifiant. En effet Pearl profite de ce moment de répit pour chanter une comptine.
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“Once upon a time there was a pretty fly…” qui parle de petits moucherons tous mignons en fuite. Et lorsque l’on interroge les images nous voyons d’abord une toile d’araignée (prédateur) en premier plan, en arrière plan la barque semble sortir de la toile et donc des griffes de l’araignée. Juste après nous avons un batracien qui lui aussi apprécie les moucherons au petit déjeuner et qui comme Harry Powell sait utiliser sa langue pour attraper ses proies !
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Donc ces premiers plans de fuite avec les animaux servent aussi à montrer de manière symbolique la manière dont les enfants échappent aux griffes de leur prédateur.

La Musique
On notera que cette mélodie de la berceuse est le leitmotiv des enfants. On l’entend dès leur apparition, lors de leur fuite… sur des modes très différents (tourmenté, grave…).
Le thème d’Harry Powell est double : il y a le cantique “Leaning” (voir plus haut) et une cascade de cuivre qui l’impose comme un rouleau compresseur.

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Sous des apparences trompeuses, ce western nous propose la confrontation classique de l’indien et de l’homme blanc. Longtemps cette dichotomie était synonyme de rupture entre l’homme civilisé (l’homme blanc) et le sauvage (l’indien). Ce qui marquait l’homme blanc comme parangon de la civilisation tient en trois principes :

- L’homme blanc vénère le vrai Dieu, l’unique. Les autres croyances tombent du coup dans le camp du mensonge et de l’hérésie.

- L’homme blanc possède une avance technologique décisive qui lui permet de vaincre militairement (le fusil à répétition) et de se répandre spatialement (le train) aux dépends des autochtones.

- L’Homme blanc possède une culture extrêmement vaste que l’écriture, la peinture, la sculpture permet d’immortaliser. A rebours des cultures vernaculaires orales, et donc éphémères par nature.

Cette opposition est présente dans tout le film de Jim Jarmush. Sauf qu’elle est renversée. L’indien va devenir au gré d’un scénario assez ironique et bien documenté, le parangon de l’homme civilisé contre l’ensemble des hommes blancs fortement associé à la bêtise, l’ignorance, la sauvagerie.
Le film fonctionne sous le signe des contrastes :

- Mort / Vie
- Machine / Nature
- Vacarme / Calme
- Connu / Inconnu
- Enfer / Paradis
  • Homme / Femme
  • Rejet / Accueil


A travers une histoire d’initiation atypique se dessine l’autocritique de l’Amérique des pionniers. Ceux là même qui ont détruit impunément, violemment, systématiquement, culturellement, spirituellement, les cultures vernaculaires d’Amérique.

Un voyage initiatique :
Le point de vue de William Blake coïncide avec celui du spectateur. Comme nous il arrive dans une contrée inconnue, entouré d’étrangers, avec le désir de se trouver une place dans la société. C’est un personnage assez sophistiqué comme le souligne son accoutrement, cartésien par sa formation de comptable, bref complètement décalé pour ce qu’il va vivre / mourir !
Le portrait psychologique de William Blake va s’affirmer à travers quelques séquences d’expositions. Celles notamment avec le chauffeur du train et Thel, la fille de joie.

Dialogue dans un train
La séquence du train est traité sous forme d’ellipses. Sa longueur permet au spectateur d’appréhender la durée du trajet, et plus généralement la grandeur des espaces ouest américain. Une manière phénoménologique de faire comprendre la longueur du voyage. A ce titre la séquence est traitée de manière exemplaire. Avec une rpédilection pour le travelling latéral, un mouvement de caméra typique de Jim Jarmush (“Down By Law” et les autres).
Le dialogue avec le chauffeur va permettre au spectateur de mieux connaître les objectifs à courts termes du héros. Il veut aller dans la ville de Machine afin d’être employé comme comptable dans la société de Dickinson (Robert Mitchum). Cependant le chauffeur insinue le doute dans ses certitudes, lui conseillant de ne pas croire les choses qui sont écrites sur du papier provenant de la ville de Machine. Associant clairement cette ville à l’enfer.
D’un point de vue narratif le discours du chauffeur, assez décousu, complètement décalé, non dénué d’une certaine poèsie et purement onirique est un avant-goût quasi-prophétique de ce que va vivre-mourir le héros (voir plus loin). La phrase clé : “Comment se fait-il que le paysage bouge, alors que le bateau est immobile ?”

Scène de ménage
La séquence post-coïtum, lorsque Thel et Bill sont surpris au lit par Charlie, son “ex” (Gabriel Byrne), est représentative d’un renversement supplémentaire de notre système de valeur. En effet le héros du western est l’archétype de l’Homme avec un grand “H”. Cette scène prend un tour cocasse. Johnny Depp s’y plaît à jouer la fille (pudique et froussarde) alors que la fille joue le rôle de l’homme (grande gueule et courageux).
Ce qui suit, le sacrifice de la fille, la mort du galant (au bout de trois coups de feux), la fuite de Bill et le vol du cheval sont le prélude de la chasse à l’homme.
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La rencontre avec l’indien
Elle est particulièrement surprenante. En général une rencontre de ce type est plutôt propice à des effusions de violences. Ici il n’en est rien. Nobody, le visage peinturluré, a une bonne raison pour ne pas tuer le “visage très pâle”. Il est en manque, il voudrait bien du tabac (un leitmotiv que Jim Jarmush utilise dans le film et plus généralement dans sa filmographie : “coffee and cigarets”…). La chose qui peut retenir notre attention est qu’il le demande dans un anglais qui n’a rien du “petit nègre” habituel. C’est à dire que Nobody semble très à l’aise dans la langue de Shakespeare (“Fucking White Man !”). Encore un film américain où tout le monde parle américain pour ne pas perdre son public ? La suite nous informera qu’il n’en ait rien. Juste après, en effet, il se mettra à proférer quelques mots orduriés dans une langue indienne.

Le trio des chasseurs
La scène où Robert Mitchum engage les trois chasseurs de primes pour venger son fils, et récupérer le pinto est en soit une belle galerie de personnages. Il met en avant aussi une hiérarchisation des valeurs américaines où la vie d’un homme, fut-il un fils, pèse parfois moins lourd qu’un cheval. Il met aussi en valeur trois tempérament différents (le pro, le jacteur, le kid), auxquels seront assorties quelques ressorts comiques (l’anthropophage…).

Le flash-back de Nobody
On observera l’esthétique du flash-black avec son halo blanc (il eut été difficile de recourir au classique noir et blanc vu que nous y sommes déjà). Cette séquence permet de faire le lien avec toute l’histoire des indiens qui ont franchis l’océan atlantique pour découvrir le vieux monde (un sujet quasiment jamais abordé dans le western, mais visible en fond historique dans “La controverse Valladolid” de Veraeghe ou “Que la fête commence” de Bertrand Tavernier).

Lee et Marvin
Lee et Marvin (Jim Jarmush fait parti des inconditionnels de l’acteur : “Les douzes salopards”, “Le Point de non-retour”…) viennent de trouver le camps vide où bivouac Bill (parti au petit coin). Suit une séquence d’une violence étrange. Basé sur le principe du champ-contre-champ afin d’opposer les deux parties : deux hommes chauves contre le seul William Blake. Mais après les présentations d’usage, Bill leur dit : “Do you know my poetry ?”, cette question anodine va suffisamment surprendre ses adversaires pour qu’il est le temps de tirer sur l’un d’eux, ce dernier en voulant riposter va tirer sur… son collègue.
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En tombant, le premier aura la tête au milieu du foyer dans une figure solaire, qui va inspiré à Bill une citation poétique de son illustre homonyme : “Some are born to endless night…” alors qu’il achève Lee, la figure lunaire par opposition à Marvin en figure solaire, qui agonise.
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La séquence du faon
Elle permet d’entrevoir la pertinence du discours du chauffeur (la notion de voyage immobile est une sorte de répétition du rite funéraire final.

La séquence de canoé
est à considérer par contraste avec celle du train. Cette dernière était bruyante, destructrice, fumante, brûlant du bois dans lequel évolue l’embarcation silencieuse, effleurant la rivière. La présence des hommes y est marqué par la présence d’un totem. de la même manière lorsque Bill arrive dans le village indien il faut avoir à l’esprit son arrivé dans Machine. Il y sera finalement accepté alors que Machine l’avait rejeté. Dans les deux cas, la personne qui l’accompagne succombera (Thel et Nobody).

Le dernier départ, là où le ciel et la mer se rejoignent
Après nous avoir fait découvrir les rivages du pacifique (inhabituel dans les westerns) ainsi qu’une communauté indienne assez loin des sioux, cheyennes et apaches habituels, Bill est engagé sur son embarcation funéraire. Finissant l’épopée d’un comptable de Cleveland pour là où le ciel et la mer se rejoignent.

Les partis-pris artistiques

La Musique
Neil Young à improviser la musique en direct. Il fallait oser le minimalisme de l’orchestration et le mélange fascinant et onirique du western avec la guitare électrique.

Le Noir et Blanc
La qualité de la photographie est une manière d’hommage aux milliers de clichés pris des indiens et des paysages de l’ouest sauvage américain. Certains gros plan de trogne du far-west sont de vivants hommages à ces photos.

L’ellipse noire
est une marque de fabrique de Jim Jarmush. En effet, il pense ses films par séquence. Il les sépare pour leur donner plus d’autonomie et subséquement plus de force. Il profite de l’obscurité pour jouer sur le son et ainsi lancer une nouvelle séquence. Régulièrement en parlant de “tabacco” !

Le film de genre
par la suite Jim Jarmush se frottera à un autre genre cinématographique : le film noir avec le très beau : “Ghost Dog”.


Conclusion :

En considérant les trois premiers aspects cités dans l’introduction :

  • Spirituels : la soi-disant supériorité de l’Eglise Chrétienne est remise en cause par la richesse de la spiritualité indienne. La foi chrétienne est régulièrement abordée et souvent à son désavantage, notamment lorsque Iggy Pop lit un passage de la Bible et lorsque l’homme d’Eglise montre son véritable visage d’intolérance et de haine raciste/anti-hérétique en vendant des draps contaminé aux indiens. Nobody dans son discours spirituel préserve une part de mystère qui tend à nous fasciner. Dans sa manière d’agir Nobody prouve sa sagesse intrinsèque (et ses penchants humains, lorsque Bill le surprend dans les bras d’une femme). Avec le rituel funéraire de William Blake, Il réussit à donner une dimension naturelle qui échappe au tragique et au “happy end”.
  • Techniques : Nobody semble en savoir plus que tout les autres. Sa manière d’utiliser le fusil est très original mais efficace. Il réussit à préserver William Blake en vie jusqu’au rite final.
  • et Culturels : Sur ce point Jim Jarmush se moque ouvertement des hommes blancs, révélant leur ignorance (le plus souvent, ils ne savent pas lire, où lisent ce qu’ils veulent bien entendre). Nobody, par contraste, semble en savoir beaucoup plus, comme son goût pour le poète William Blake l’indique. C’est pour cette raison qu’il servira de mentor à Blake. Et si, au début, son entêtement à considérer le pauvre comptable de Cleveland comme le retour sur terre de l’illustre poète anglais peut paraître naïf, force est de constater que l’idée devient naturelle au fur et à mesure du film. C’est une des forces du film que de réussir à faire ressentir profondément l’évolution intérieure du héros.

A travers ce récit initiatique Jim Jarmush permet donc de voir l’évolution spirituelle de Bill, tout en assistant à sa lente agonie. Le film est une sorte d’expérience qui va au-delà des mots, à la racine des symboles, en harmonie avec une mémoire collective profonde.
Depuis certains ont essayés de le copier. Le français Jan Kounen avec l’adaptation de “Blueberry” a tenté de donner une vision personnelle du chamanisme sur fond de western. On y retrouve certains éléments structurels du film de Jarmush, mais sans la maîtrise, la maturité d’évocation du réalisateur américain.

Le décor dans Sleepy Hollow de Burton

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Le décor de Sleepy Hollow se partage principalement entre la ville même de Sleepy Hollow et la forêt avoisinante.

Intérieur / extérieur
Le film a été tourné en partie en extérieur dans une reconstitution d’une bourgade rurale influencée par le style flamand du XVIIIe siècle. Les extérieurs devaient à l’origine être tournés dans la vallée de l’Hudson, site préservé qui, si l’on en croit Tim Burton, semble réellement hanté. Mais les sites sont impropres, et l’on suggère d’aller tourner en Angleterre, à Lime Tree dans le comté d’Hambledon, où la petite ville de Sleepy Hollow est totalement construite.
La démarche de création cherche avant tout à être crédible. Les bâtiments ont une dimension fonctionnelle, donnent l’impression d’avoir vécu, et les rues boueuses ne sont pas idéalisées. L’ensemble est traité à travers le prisme du style Burton, souvent synonyme de « gothique », qui transparaît notamment à travers la vaste maison de Balthus Van Tassel en ombre chinoise. La propriété lugubre et menaçante écrase par sa démesure le petit Ichabod Crane, débarqué fraîchement de New York.
La plupart des plans ont été tournés en studio, plus précisément dans ceux de Leavesden et Shepperton. La raison en revient au genre abordé par le film : le fantastique. Le studio permet en effet de maîtriser totalement les éléments climatiques, la lumière… Éléments primordiaux à la création de l’atmosphère surnaturelle souhaitée (brouillard, neige, nuit…).
Il a donc été reconstitué de toutes pièces une forêt qui servira de théâtre à la course poursuite et à la scène finale près de l’arbre mort (typiquement burtonien).
Le problème posé, outre la qualité de reconstitution des décors extérieurs en intérieur, est d’harmoniser la lumière pour rendre le passage des scènes en studio aux scènes extérieures le plus imperceptible possible.


La symbolique des lieux :
L’intrigue policière de Sleepy Hollow est assez originale puisqu’elle met en quelques minutes le doigt sur l’identité du meurtrier : Le cavalier sans tête. Son ennemi déclaré est le très logique Ichabod Crane, qui essaye de tout expliquer de manière scientifique. C’est donc la lutte d’un homme sans tête avec un homme qui n’est qu’une tête (voir au passage ses qualités athlétiques négligeables).
Alors qu’habituellement le narrateur a tendance à se mettre du côté de la logique et de la science, Tim Burton traite Ichabod Crane et ce qu’il représente avec une certaine dose de perversité.
Comment arrêter un mort de massacrer la population tel un troupeau de moutons ? Là, se situe un des enjeux essentiels du récit. Le réalisateur va donner des indices sur la nature à l’œuvre dans ces homicides. Ces clefs vont tourner autour des décors.

Un des enjeux du film concerne l’enquête. A la question qui a commis ces crimes horribles ? Le film répond assez rapidement la vérité : c’est le cavalier sans tête !
Mais l’identité du véritable artisan de ces crimes, celui qui a murement accouché de ce plan aussi génial que tortueux reste un mystère. Le réalisateur nous fournit pourtant quelques indices avec ces motifs visuels : la jumelité et la rotation. D’un côté, l’identité du mystérieux criminel, de l’autre le lieu d’où il opère.

De la jumelité (attention spoilers) :

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Deux têtes de cerfs
Dès l’arrivée d’Ichabod Crane dans la petite ville de Sleepy Hollow, il se lance sur un chemin qui serpente entre le cimetière et un pré où s’ébattent quelques moutons. Au premier plan, entourant un Ichabod hésitant on voit les deux têtes de cerfs en pierre. Deux têtes comme deux trophées de chasse, comme ceux que le cavalier sans tête rapporte dans son arbre mort.

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Deux têtes de taureaux
Un peu plus tard Ichabod se présente face à la porte de Van Balthus, qui est son contact sur place, afin de mener à bien son enquête. Il frappe avec un anneau pendant au mufle d’une tête de bovidé, gardant la porte gauche, tandis que son jumeau garde la porte droite.

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Deux têtes de citrouilles
Une fois à l’intérieur, Ichabod se trouve au centre de l’attention, derrière la ronde, deux têtes de citrouilles sont disposées symétriquement sur la cheminée. Un moyen de situer l ‘époque de l’année et de retrouver une des obsessions de Tim Burton : Halloween.

symétrie
Symétrie
Plus tard, dans le petit salon de Van Balthus, ce dernier présente Ichabod aux notables de la ville et lui raconte l’origine de la légende du cavalier sans tête. On notera que son entrée dans le salon est d’une parfaite symétrie (lampes, fauteuils…).

figures métalliques
Le foyer
Lors du récit de Van Balthus la caméra se focalise vers la cheminée où l’on découvre deux figures métalliques monstrueuses de chaque côté du feu.

les jumelles
Les jumelles
Jusqu’au flash-back lui-même qui nous montrent deux jeunes jumelles dans les bois à l’origine de la mort du mercenaire allemand.

Le motif visuel de la jumelité a une importance énorme sur l’intrigue puisque c’est justement une des jumelles qui est à l’origine des meurtres en série. En effet, elle exerce une sorte de chantage avec l’âme du mercenaire allemand.


Le Pentacle
Tim Burton se plaît à opposer les sexes, les rapports au sacré. Cela se ressent notamment dans l’architecture.
L’Eglise de Sleepy Hollow est à cet égard typique, elle est visuellement symbolisée par la pointe, l’angle aigue. Au rebours de sa mère et de Katrina dont les croyances  ès sorcelleries les font pratiquer des gestes, des motifs, des danses orientés vers la spirale, la courbe, la rotation.

Il y a donc d’un côté des références à l’aigüe :
-L’architecture de l’église,
-La clôture autour de l’édifice religieux qui servira à empaler Balthus van Tassel
-La vue plongeante sur Katrina évanouit dans l’église, découvre la structure sur laquelle elle est allongée, de forme pointue à nouveau
-L’entrée de la salle blanche, où l’on voit le père d’Ichabod lors de ses rêves, est creusée en pointe
-La salle de torture est composée d’éléments pointues qui vont notamment faire saigner les mains du jeune Ichabod…
-La pointe de la flèche de l’archer.

De l’autre les références au cercle, à la rotation, à la spirale :
-La cage du cardinal
-La fenêtre ronde par laquelle l’oiseau va s’envoler (à noter que la fenêtre s’ouvre en pivotant horizontalement, comme le principe optique du jeu de la cage et l’oiseau).
-Le jeu optique
-Le moulin
-Les spirales dans les foyers de cheminée
-La ronde de la mère d’Ichabod
-Les rondeurs de Katrina
-La ronde dans laquelle se trouve Katrina lorsqu’on la voit la première fois
-Le rouet en arrière plan de la séquence où Katrina confie le livre de sortilège à Ichabod

Le symbolisme est assez simple, mais il est aussi polysémique.
La synthèse des deux éléments : les pointes et le rond permettent d’obtenir la figure du pentacle. Figure déterminante et ambiguë du récit, qui induira d’ailleurs Ichabod en erreur.

katherina van thassel+ étoile
Mais le pentacle est aussi une étoile, le symbole de Katrina, qui porte un collier et un bracelet étoilés. Elle illumine par sa présence et par le choix de ses parures. Elle demeure liée à cette forme : étoile – pentacle. Mais, comme je l’ai mentionné auparavant, cette figure étoilée sera associée au cercle, plus exactement la ronde qui l’encercle lors du colin-maillard. Ce qui revient (de manière très symbolique) à souligner la présence du pentagrame (une étoile dans un cercle).

une étoile dans un cercle

La notion de rotation est déterminante, car beaucoup de choses tournent dans ce film (La tête du magistrat roule sur le sol justement quand on voit bien en évidence le moulin en arrière-plan, l’épée tournoie…). Serait-ce encore un motif visuel susceptible d’indiquer un lieu comme le moulin ?
Beaucoup de choses se rapportent au moulin. C’est ici que Lady Van Tassel lance ses malédictions autour d’un feu (associé très souvent à la magie, chez la mère d’Ichabod, Katrina…). Le lieu est impliqué dès le départ dans le récit par l’écusson marquant la cire fondue sur le testament de Van Garret. Tout le cycle y est présent : la faux, le blé coupé et la fleur de lys (référence à la dimension aristocratique). Mais la faux et le blé sont le préliminaire au rôle du moulin. Le moulin dont la rotation et les ailes rappellent le rôle de la faucheuse. C’est aussi un des emblèmes des Flandres dont sont originaires les habitants de Sleepy Hollow. Enfin c’est une référence à un des films préférés de Tim Burton : Frankenstein de J. Whale. Justement le moulin prendra feu exactement de la même manière que dans l’adaptation cinématographique du roman de Mary Shelley. Dans les deux cas les deux monstres le sont moins que leur auteur/manipulateur, à savoir le docteur Frankenstein et Lady Van Tassel. A noter qu’Edward aux mains d’argent faisait deux clins d’œil à ce film, à travers le personnage du savant recréant la vie (Vincent Price) et donc un monstre, et enfin par la foule déchaîné voulant rendre justice expéditive envers le même monstre.

L’arbre qui cache la forêt
Il y a l’arbre de mort, caché au milieu de la forêt. Il y a aussi l’arbre généalogique. Les deux ont cet étrange façon de contenir des têtes, qui furent avant d’être des noms, des personnes vivantes. Ichabod suit le parcours de son enquête de branche en branche afin de connaître les racines de ce drame. Racines vers lesquelles plongent le cavalier désormais affublé d’une tête avec Lady van Tassel. A l’inverse la mère d’Ichabod au lieu de sauter dans un bain de sang, émergera littéralement de son propre sang. Comme une mécanique morbide de vases communicants.